Contrairement à une
légende tenace, Saint-Loup ne fut pas la
ville gallo-romaine de Granum ; ce qui est
vrai, c’est qu’une multitude de domaines
s’éparpillaient entre Luxeuil et Corre.
Au Moyen Âge, la terre de
Saint-Loup est tiraillée entre Bourgogne et
Lorraine. Au XIIIe siècle,
Saint-Loup appartient à la Maison de
Faucogney.
Janvier 1444, le Maréchal
de Bourgogne fait raser le château de
Saint-Loup, qui dominait la Semouse, sans
que le duc de Lorraine proteste. Un accord
entre les deux parties est scellé en 1477 :
Saint-Loup devient « terre de surséance »,
c’est-à-dire ni bourguignonne, ni lorraine.
Par suite des successions, les deux tiers de
la terre lupéenne passent dans la famille d’Anglure.
Cette situation de
neutralité fait que Saint-Loup va vivre dans
une paix relative, vivant d’agriculture, de
commerce et d’artisanat.
Pendant la guerre de Dix
ans, en 1636, les
troupes qui ravagent les
villages environnants ne s’attaquent pas à
Saint-Loup ; il faut dire que la peste y
était déjà passée l’année précédente.
À la Révolution, en 1789,
Saint-Loup a pour curé Jean-Joseph Claude,
plus connu sous le nom de « l’abbé
Descharrières ». Ce curé de choc, originaire
du Val-d’Ajol, est un ancien aumonier
militaire. Il organise une milice pour
défendre le bourg, mais il ne pourra
empêcher le saccage du greffe et de son
presbytère par les « sans-culottes » de
Fougerolles et Corbenay venus détruire les
titres de propriétés seigneuriaux.
Ce n’est qu’au XIXe
siècle que Saint-Loup commence à se
développer. C’est d’abord la fabrication de
toile de droguet et de chapeaux de paille,
noirs. Mais l’activité textile, victime déjà
de la concurrence, diminue. À partir de
1850, de nouvelles productions voient le
jour : La pointerie de Simon Lebrun et la
fabrication de chaussures.
La guerre de 1870
L’année 1870 marque un
tournant dans l’histoire de Saint-Loup. Le
16 octobre de cette année-là, la petite
ville est envahie par les Prussiens qui y
établissent une étape sur la route Épinal –
Dijon. Elle restera occupée pendant 10 mois.
Le 16 janvier 1871, alors
que les Français combattent près
d’Héricourt, trois ou quatre cents
francs-tireurs de la légion Bombonnel se
mettent en tête de capturer la garnison
prussienne de Saint-Loup. Cette opération
improvisée est un échec ; les Prussiens
réussissent à se sauver du côté de Corbenay,
n’abandonnant sur place qu’une douzaine de
vieux landwehrs avec leur fusil. La
« bataille de Saint-Loup » fit un mort du
côté des francs-tireurs : Claude Balmont, 20
ans, de Calluire, décédé par suite de
blessures reçues près d’Aillevillers. Au
même endroit, Joseph Villemin, un paysan,
est aussi tué d’une balle dans son champ.
Aucun document ne confirme qu’il y aurait eu
des pertes ennemies. Les francs-tireurs
repartis aussi vite qu’ils étaient venus,
les Prussiens reviennent avec des renforts.
Les notables de la ville sont pris en otage,
une réquisition de dix mille francs est
exigée sous la menace de brûler le château
de Monsieur de Malliard.
Après cet épisode, et la
capitulation de la France, les habitants de
Saint-Loup vont voir défiler des milliers de
prisonniers français, à pied ou sur des
chariots, emmenés vers Épinal ou en
Allemagne. Ces pauvres soldats, mal vêtus,
mal chaussés, offrent un spectacle
pitoyable. On les héberge sur la paille
partout où l’on peut, même dans l’église.
Quelques-uns, trop faibles, ne pourront
poursuivre leur route et resteront sur
place, à l’hôpital ou chez de braves lupéens,
huit de ces mobiles sont inhumés dans notre
cimetière. Quatorze enfants de Saint-Loup
laissèrent leur vie sur divers champs de
bataille.
Saint-Loup, capitale du
meuble
Les Prussiens partis,
Saint-Loup connaît une rapide prospérité
grâce à une toute nouvelle industrie qui va
faire sa réputation : la fabrication de
chaises d’abord, puis de meubles divers
ensuite. Cette activité va amener dans la
cité des centaines d’ouvriers sculpteurs,
tourneurs, ébénistes, de toute la France.
L’année 1896 peut être
considérée comme la plus remarquable. Plus
de 400 ouvriers travaillent dans le meuble,
dont une centaine de sculpteurs, et 150 dans
la fabrication de chaussures. Les femmes
sont employées au cannage des sièges ou font
de la broderie de Luxeuil. La ville,
véritable ruche, est aussi Saint-Loup la
rouge, socialiste et syndicaliste.
La Grande guerre met un
frein à cette expansion, mais une nouvelle
ère arrive, avec la « fée électricité ». Des
ébénistes quittent l’usine pour se mettre à
leur compte. Saint-Loup voit fleurir nombre
de petits ateliers de fabrication de meubles
d’art. La Foire Exposition de Saint-Loup est
alors renommée bien au-delà du département.
Mais pendant ce temps,
les ateliers de fabrication de chaussures,
pourtant réputées, ferment les uns après les
autres.
À partir des années
soixante, la mode n’est plus au « beau
meuble » mais au meuble « peu cher ». Si les
Usines Réunies continuent une fabrication
classique, Jacques Parisot innove avec la
fabrication de meubles en kit et aggloméré.
Sa nouvelle usine, la plus moderne d’Europe,
disait-on, réclame beaucoup de main d’œuvre
que la région ne peut fournir. Une arrivée
importante d’ouvriers, venant du Portugal et
du Maroc principalement, fait monter la
population à plus de 5000 habitants.
Parallèment à l’industrie
du meuble, une filature moderne et deux
ateliers de confection embauchent
l’importante main d’œuvre féminine.
Aujourd’hui, il ne faut
pas se le cacher, l’âge d’or de Saint-Loup,
ville ouvrière, est bien terminé. Il n’y a
plus d’industrie textile. Les ateliers
d’ébénisterie qui faisaient la réputation de
Saint-Loup sont fermés. Il ne reste de cette
glorieuse époque que les deux usines du
groupe Parisot, et la toute première, fondée
il y aura bientôt 150 ans par Henri Lebrun.
Gaston Marquiset